Par Maxime Dewilder
Enquête de Charles Delouche et Maxime Dewilder
Photo de Charles Delouche
A Berlin et Dresde
Publié le 17 février 2017

Qu’il pleuve ou qu’il gèle, la Schlossplatz de Dresde s’anime tous les lun­dis soirs depuis bien­tôt trois ans. Avec un dis­cours anti-immigration, anti-Merkel et anti-Europe dont il a le secret, Lutz Bachmann, le fon­da­teur du mou­ve­ment des Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident (PEGIDA), réchauffe les cœurs du mil­lier de mani­fes­tants pré­sents ce lun­di 6 février. Parmi les dra­peaux alle­mands et ceux de la région de Saxe, un éten­dard bleu ciel se démarque. Le bleu ciel du par­ti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD).

Aucune affi­lia­tion offi­cielle n’existe entre l’AfD et PEGIDA. Les deux groupes se réunissent ponc­tuel­le­ment autour de la ques­tion migra­toire. Dans l’invective, l’orateur rote avant de pro­non­cer le nom de Martin Schulz, le pré­sident alle­mand du Parlement euro­péen de jan­vier 2012 à jan­vier 2017. En réponse, les mani­fes­tants bran­dissent leurs slo­gans natio­na­listes tels que : « Allemagne, ma patrie, mon amour », « Il n’y aura pas de mos­quées » ou encore « Stop à l’islamisation de l’Europe ». A la limite de l’as­phyxie en 2015, l’Alternative für Deutschland (AfD) a pro­fi­té de l’ouverture des fron­tières par la chan­ce­lière Angela Merkel pour trou­ver un second souffle.

Gero Neugebauer, poli­to­logue alle­mand spé­cia­liste des cou­rants poli­tiques d’extrême-droite, explique : « L’AfD joue sur la men­ta­li­té des gens de l’Est, plus conser­va­teurs et long­temps sou­mis à la pro­pa­gande com­mu­niste. C’est un élec­to­rat plus vieux et plus enclin à la xéno­pho­bie ». Il affirme aus­si que les per­sonnes habi­tant les Länder de l’Est « n’ont aucun pro­blème à voter pour l’AfD pour pro­té­ger ces valeurs ».

Deuxième force politique à l’Est en 2016

Dresde, à une cen­taine de kilo­mètres de la fron­tière polo­naise, est loin d’être un cas iso­lé. Pour sa pre­mière par­ti­ci­pa­tion aux régio­nales de 2016 en Saxe-Anhalt (Est) et en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (Est), l’AfD s’est impo­sée comme deuxième force poli­tique. A l’Ouest, l’AfD gagne du ter­rain. En Bade-Wurtemberg (Ouest), l’émergence du par­ti d’extrême-droite oblige Grünen (par­ti éco­lo­giste) et l’Union chrétienne-démocrate (CDU) à tis­ser un lien inédit pour gou­ver­ner. C’est la pre­mière fois, à l’échelle régio­nale, que les deux par­tis s’allient pour for­mer une coalition.

[info­gram id=“410487f7-3aba-4d3d-960d-260c7da4422a” prefix=“GmV” format=“interactive” title=“Elections régio­nales alle­mandes de 2016”]

L’entrée de l’AfD au Bundestag en sep­tembre 2017 redis­tri­bue­rait les cartes au niveau natio­nal dans le jeu des alliances. Crédité de 10 à 15% de votes dans les son­dages, le par­ti d’extrême-droite crée­rait un séisme dans la vie poli­tique alle­mande s’il obli­geait de nou­velles alliances au parlement.

En ex-RDA, un retard économique indéniable

Plusieurs indi­ca­teurs éco­no­miques expliquent les bons scores de l’AfD à l’Est. PIB/habitant, reve­nu dis­po­nible et taux de chô­mage, les Länder orien­taux sont à la traine. En Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, le taux de chô­mage s’élève à 12%, le plus éle­vé d’Allemagne. Conséquences ? La CDU d’Angela Merkel n’arrive que troi­sième dans ce Land, bas­tion de la chan­ce­lière, aux élec­tions régio­nales de sep­tembre 2016. Il s’agit du pire résul­tat du par­ti dans cette région depuis la réunification.

« En Allemagne, il existe depuis long­temps entre 10 et 15% de gens en désac­cord avec la poli­tique gou­ver­ne­men­tale, pense Gero Neugebauer. La plu­part s’abstenait mais aujourd’hui, ces per­sonnes se tournent vers l’AfD car la crise des réfu­giés effraie ». Ce cli­mat poli­tique explique l’entrée fra­cas­sante du par­ti d’extrême-droite (plus de 20%), deuxième der­rière le Parti social-démocrate (SPD), sur le ter­ri­toire de la chancelière.

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Historiquement, l’Est a tou­jours été un moteur pour le vote extrême. Die Linke, for­ma­tion poli­tique de gauche, a long­temps pros­pé­ré sur ces terres. Timo Lochoki, cher­cheur aux German Marshall Fund, assure : « A l’Est, les gens ne croient pas aux élites. Auparavant, ce dis­cours anti-élites était mis en avant par l’extrême-gauche et notam­ment Die Linke. Il est main­te­nant repris par l’AfD. Ajoutez à cela l’arrivée mas­sive de réfu­giés accom­pa­gnée de la peur de l’Islam et vous com­pre­nez pour­quoi ce par­ti récolte tant de suf­frages ».

Être facho devient tendance

Bénédicte Laumond

Les mili­tants affirment aujourd’hui ouver­te­ment leurs idées extré­mistes, idées long­temps taboues en Allemagne. En République démo­cra­tique alle­mande (RDA), le régime com­mu­niste anti­fas­ciste empê­chait toute créa­tion de par­ti ou de mou­vance d’extrême-droite. Bénédicte Laumond, cher­cheuse fran­çaise en sciences poli­tiques basée à Berlin, ana­lyse : « En Allemagne de l’Est, dans les années 80, être facho devient ten­dance. C’est un phé­no­mène géné­ra­tion­nel ». « La pen­sée d’extrême-droite à ten­dance fas­ciste devient, chez les jeunes, une forme de contes­ta­tion comme une autre contre le régime » poursuit-elle encore.

Le 22 août 1992, dans la ville est-allemande de Rostock, les extré­mistes se déchaînent contre les réfu­giés. Certains habi­tants mais aus­si des néo­na­zis venus de toute l’Allemagne se réunissent dans cette ville et tentent d’incendier un immeuble rem­pli de réfu­giés viet­na­miens. « L’Allemagne aux Allemands », « les étran­gers dehors » et même des « Sieg Heil » (le salut fas­ciste) reten­tissent. Le pays com­prend lors de ces émeutes que les idéaux d’extrême-droite ne sont pas un loin­tain sou­ve­nir. Ces évé­ne­ments deviennent alors les vio­lences racistes les plus impor­tantes qu’ait connues le pays depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Cette mon­tée sou­daine de racisme s’explique elle aus­si par la frac­ture Est/Ouest. Après-guerre, l’Ouest du pays a fait un tra­vail cri­tique sur son his­toire, notam­ment avec des pro­grammes sco­laires construis pour que les jeunes esprits appré­hendent le pas­sé. L’Est, sub­mer­gé par la pro­pa­gande com­mu­niste, n’a pas fait ce devoir de mémoire.

A l’échelle l’européenne, l’extrême-droite crève l’écran. Le Front National en France, UKIP (United Kingdom Independance Party) au Royaume-Uni ou encore le FPÖ (Parti de la liber­té d’Autriche), enre­gistrent des scores inédits. « Il n’y avait aucune rai­son que l’Allemagne reste étanche à la mon­tée de l’extrême-droite, aus­si lourd soit son pas­sé » conclut Bénédicte Laumond.

Si l’AfD entre au Bundestag cré­di­tée de 10 à 15% des voix lors des élec­tions légis­la­tives de sep­tembre 2017, ce sera la pre­mière fois qu’un par­ti d’extrême-droite entre au Bundestag depuis le par­ti nazi (NSDAP) d’Adolf Hitler en 1928 avec 2,6% des voix. Deux ans plus tard, le NSDAP s’im­po­sait comme deuxième force poli­tique avec 18,25%. En juillet 1932, le par­ti national-socialiste du futur Führer trus­tait la pre­mière place avec 37,27% des suf­frages exprimés.

Travail enca­dré par Cédric Rouquette, Lise Jolly et David Philippot