Par Charles Delouche
Enquête de Charles Delouche et Maxime Dewilder
Photos de Maxime Dewilder, Harald Bischoff
A Berlin et Dresde
Le 14 février 2017
La porte-parole Frauke Petry ne sera pas l’unique cheffe de la campagne de l’AfD aux élections législatives de septembre prochain en Allemagne. Trop affaiblie par les scandales antisémites et racistes, elle a vu une majorité de militants lui tourner le dos. Ils ont préféré voter pour un tandem de candidats et deux lignes politiques différentes. Même si on ne connaît pas encore le candidat qui accompagnera Frauke Petry, les militants ont remis en cause le Führerprincip (le culte du chef), si cher aux partis nationalistes européens. Les crises récentes au sein de l’AfD ont eu raison du semblant d’unité que le parti voulait laisser paraître.
Dernier scandale en date : à la fin du mois de janvier 2017, à Dresde, le porte-parole de l’AfD, Bjorn Hoecke, s’en est pris au mémorial de l’Holocauste de Berlin. Il a déclaré devant une poignée de militants de PEGIDA, (Les Européens Patriotes contre l’Islamisation de l’Occident) et de l’AfD que les « Allemands étaient les seuls au monde à posséder un mémorial de la honte au cœur de leur capitale.»
Et ces dérapages sont fréquents. En juillet 2016, Wolfgang Gedeon, un élu AfD du Bade-Wurtemberg, déclare dans un livre que le « judaïsme du Talmud est l’ennemi intérieur de l’occident chrétien ». Après une vive polémique, le député est finalement placardisé par le parti.
Un mouvement néo-libéral et eurosceptique
L’AfD n’a pas toujours été ce parti d’extrême droite aux thèmes principalement identitaires. Fondé à la fin de l’année 2013 par le professeur d’économie Bernd Lucke, « l’AfD », pour Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne), est à ses débuts un mouvement de « l’establishment » aux idées eurosceptiques et isolationnistes, assez éloigné de ce qu’il deviendra trois ans plus tard. Il réunit principalement des professeurs, des intellectuels, des épargnants et autres petits bourgeois de la classe moyenne allemande.
Entouré de l’ancien journaliste et publicitaire Konrad Adam et de la jeune entrepreneuse Frauke Petry, âgée de 41 ans, Bernd Lucke décide d’axer son programme autour de thèmes économiques forts, avec la sortie de la zone euro et le retour au Deutsche Mark comme leitmotivs.
L’économiste de 54 ans défend une vision néo-libérale de l’économie allemande pour dénoncer l’échec de l’alliance CDU/CSU. Les membres qui viennent gonfler les rangs de cette formation sont alors, pour la plupart, d’anciens électeurs déçus par la politique de la chancelière Angela Merkel.
En 2015, la situation au Moyen-Orient et particulièrement en Syrie vire à l’horreur. Plus d’un million de personnes fuient l’atrocité des combats. Angela Merkel prend alors une mesure emblématique : ouvrir les frontières de l’Allemagne et accueillir 800.000 réfugiés.
Pour le politologue allemand Gero Neugebauer, spécialiste des courants politiques d’extrême-droite, « l’AfD a effectué un revirement à droite, en accusant la CDU d’avoir trahi la nation allemande et d’avoir causé la perte de l’Allemagne en ouvrant les frontières aux réfugiés. »
Ce climat donne à l’AfD une visibilité inespérée. La crise des réfugiés en provenance du Moyen Orient et d’Afrique du Nord est une aubaine pour les dirigeants du parti. Ils se nourrissent des peurs de la société allemande, réorientent leur programme et s’emparent des thèmes en vogue de l’extrême-droite européenne.
Pour Bénédicte Laumond, chercheuse en sciences politiques basée à Berlin, « les premières études quantitatives montrent que la moyenne des électeurs de l’AfD ont été nourri par une peur de ce que l’immigration pourrait causer à l’Allemagne, comme par exemple une crise économique et une hausse du chômage. Ce sont des gens des classes moyennes qui ont peur d’un déclassement économique évident. »
Son ascension est à l’image du parti, fulgurante et sans compromis
Frauke Petry est le visage de ce virage à droite. Originaire de Dresde, bastion des idées anti-islam et anti-immigration, son ascension est à l’image du parti, fulgurante et sans compromis. Fascinante pour ses soutiens et angoissante pour ses adversaires, Frauke Petry incarne la branche radicale majoritaire de l’AfD. Elle séduit plus que celle de son mentor, Bernd Lucke. Ancienne chef d’entreprise dans le domaine chimique, la jeune quadragénaire porte les cheveux courts, arbore un perpétuel sourire et incarne un nouvel élan au sein du parti.
En 2015, lors du congrès de l’AfD à Essen, elle réussit un coup de maître en remportant l’élection pour la présidence du parti avec 60% des voix. L’ancienne chimiste parvient ainsi à tuer le « père » fondateur, Bernd Lucke, qui décide de quitter le parti dans la foulée. Elle impose son idéologie : ce sera à droite toute, en ratissant large et en martelant le refus de l’islamisation de l’Europe, l’anti-immigration et la nostalgie de « l’Allemagne souveraine ». Elle transforme l’AfD en machine de guerre populiste.
« La formule gagnante de l’AfD : pour la nation, contre les élites »
La porte-parole prône une Allemagne affranchie de son passé et décomplexée. Elle adapte constamment son discours à son électorat et réussit à créer une forme de « parti caméléon » selon Bénédicte Laumond.
« A l’Est, le programme de l’AfD va jusqu’à tutoyer l’extrême droite dure, voire le nazisme, précise Timo Lochocki, docteur et directeur du programme de recherche au German Marshall Fund autour de la diversité européenne et des partis politiques. A l’Ouest, bien que l’électorat soit historiquement conservateur, la tradition démocratique y est plus forte. Le parti s’adapte aux Länder ». « On peut dire que chaque région a son thème, précise Bénédicte Laumond. Les luttes de pouvoir entre Petry, Gauland et Hoecke rongent le parti ».
Pour l’AfD de Frauke Petry, les élites ne sont pas irremplaçables et ne défendent pas les intérêts du peuple. Ses soutiens accusent l’immigration, l’islam et la politique européenne d’être la raison du déclin de la culture nationale allemande. Le programme culturel de l’AfD entend valoriser les dramaturges et les auteurs allemands au profit des artistes étrangers.
« Le votant de base AfD est très difficile à cibler car ce parti est extrêmement fort pour draguer les électeurs venant de classes très diverses, ajoute Timo Lochocki. Même si le sentiment général anti-élite a toujours été plus fort à l’Est qu’à l’Ouest, l’AfD est le miroir de la société allemande et adopte une formule gagnante choc : pour la nation, contre les élites ».
Ultra nationalistes et autres nostalgiques du Reich hitlérien
La ligne radicale et ultra-nationaliste du parti attire aussi les anciens électeurs du NPD, le parti national socialiste, qui rassemblait les nostalgiques du Reich hitlérien. Frauke Petry doit composer avec cet électorat, même s’il se reconnaît davantage dans le discours plus radical de son rival, le député de l’état du Brandebourg, Alexander Gauland.
Ancien membre de la CDU, Alexander Gauland, 75 ans, s’était illustré en mai 2016 en suscitant la polémique après avoir déclaré au Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung que le défenseur du Bayern Munich Jérôme Boateng était « apprécié en tant que footballeur mais que personne ne voudrait l’avoir comme voisin. »
Le député Gauland représente cette aile aux relents racistes et xénophobes, dont Petry tente de se démarquer. Il affiche officiellement son soutien aux militants de PEGIDA et refuse l’appellation d’extrême-droite au sujet de l’AfD.
« Frauke Petry est une technocrate qui drague un électorat bourgeois et abstentionniste, précise le politologue Gero Neugebauer. Elle représente une ligne nationale conservative et néo-libérale. Alexander Gauland incarne, quant à lui, une aile rivée sur le nationalisme, le chauvinisme, la xénophobie et le racisme. Cette frange attire les citoyens les plus extrêmes de la société allemande, notamment les membres des groupuscules d’extrême-droite ».
Extrême droite en Europe : le cas de l’Allemagne
Les droites nationalistes connaissent un essor partout en Europe avec la ligue du Nord en Italie, le FPÖ autrichien ou encore le Front National en France. Mais l’Allemagne est un cas particulier en Europe. Depuis 1990, l’Office fédéral de protection de la constitution surveille les activités des partis extrémistes suspectés de mettre en danger la constitution allemande. Tout dérapage est sanctionné, d’où le numéro d’équilibriste mené par Frauke Petry : profiter de la vague xénophobe, sans jamais être trop extrémiste.
La nouvelle patronne refuse que l’AfD soit affiliée à ces polémiques. Bien qu’ils partagent un but commun, l’entrée au Bundestag, la porte-parole du parti nie toute alliance officielle avec les mouvements les plus radicaux d’Allemagne qui soutiennent l’AfD, comme par exemple PEGIDA ou les groupuscules fascistes et néo-nazis. Et le parti n’est pas étanche. En 2015, le militant Sören Oltersdorf se présentait comme candidat de l’AfD malgré ses accointances avec les milieux néo-nazis. Il fut forcé de démissionner sous la pression de la presse. Mais Frauke Petry ne s’en est jamais désolidarisé.
Travail encadré par Cédric Rouquette, David Philippot et Lise Jolly