Par Romain Gaspar
Enquête de Clément Rouget et Romain Gaspar
A Berlin
Publié le 16 février 2017

Fabien, un expa­trié fran­çais, est à Berlin depuis moins d’un an. Barbu au look de hips­ter, il n’a pas l’âge habi­tuel des mini-jobbers alle­mands. A 35 ans, cet ancien illus­tra­teur de bande des­si­née ne vit que d’un petit bou­lot de baby-sitter et de quelques cours de des­sin payés au noir. Il n’a pas de mal à le jus­ti­fier : « C’était une solu­tion de faci­li­té pour trou­ver tout de suite un bou­lot et avoir un reve­nu qui tom­bait ».

Peter Hartz, le pré­co­ni­sa­teur des lois por­tant son nom.

Même s’il ne par­lait pas un mot d’al­le­mand, ce tren­te­naire a décro­ché ce que l’on nomme en fran­çais, un mini-job.  Ce type d’emploi a été mis en place dans les années 1990 sous le nom “d’emploi mineur” pour faire face à la réuni­fi­ca­tion. Il a été réfor­mé à par­tir du 1er avril 2003 avec les lois Hartz, du nom de l’ancien direc­teur du per­son­nel de l’entreprise auto­mo­bile Volkswagen. L’homme avait été pla­cé à la tête de la com­mis­sion char­gée de pro­po­ser des pistes de réformes.

Le gou­ver­ne­ment social-démocrate de Gérard Schröder [1998–2005] a consi­dé­ra­ble­ment assou­pli la régle­men­ta­tion des mini-jobs. Cette déci­sion s’inscrivait dans le cadre d’une série de mesures pour faire bais­ser à tout prix le chô­mage. A l’époque, le nombre d’Allemands sans emploi avait dépas­sé la barre pré­oc­cu­pante des 5 mil­lions de chô­meurs. Ce  contrat de 15 heures par semaine maxi­mum est défis­ca­li­sé jusqu’à 450€ de reve­nu. « Ils sont exer­cés par les étu­diants, les tra­vailleurs à temps par­tiel, les chô­meurs et les femmes pou­vant béné­fi­cier de la cou­ver­ture mala­die de leur mari », explique le pro­fes­seur de  poli­tiques publiques, Jochen Clasen de la Hertie School of Gouvernance. Ces types d’emplois ont per­mis au mar­ché du tra­vail alle­mand d’être plus dyna­mique. En 2016, les Allemands ont créé 450 000 emplois selon leur minis­tère du travail.

La recherche et l’embauche pour ce type de contrat fonc­tionnent de façon très infor­melle. Fabien confie avoir décro­ché son mini-job de baby-sitter dans une famille alle­mande par­lant le fran­çais grâce au bouche à oreille. « Beaucoup d’annonces sont dis­po­nibles sur Facebook, Ebay ou sur les vitrines des petits com­merces de quar­tier, raconte-t-il. Le ven­dre­di, j’avais une réponse de la famille. Le same­di matin, j’avais l’entretien et le lun­di, je com­men­çais ». Dans ce sys­tème, le jeune urbain appré­cie par­ti­cu­liè­re­ment la sou­plesse des cri­tères de sélec­tions. « Ici, ça fonc­tionne à l’anglo-saxonne. Même ton CV, on ne te le demande qu’occasionnellement. On va sur­tout regar­der tes capa­ci­tés, ce que tu dégages. On ne va pas te dire, comme en France, que tu as trop de diplômes ou pas assez ».

Un travail au noir omniprésent

Fabien, 35 ans et Marie-Elisabeth, 27 ans ont occu­pé le même poste de baby-sitter à Berlin en mini job à un an d’intervalle.

Les arran­ge­ments pris entre employeurs et mini-jobbers sont aux fron­tières de la léga­li­té. Marie-Elisabeth, 27 ans, ne s’en cache pas : « J’ai d’autres jobs au black à côté et je suis loin d’être la seule ». Ironique, quand on sait que l’un des buts des réformes Hartz était jus­te­ment de lut­ter contre le tra­vail au noir. « Je fais pas mal de ménages et de baby sit­ting en mini jobs que je cumule à côté de mon tra­vail, explique la jeune femme, sur­nom­mée « Mimi ». Si je fais plus d’heures cer­tains mois, soit je rat­trape le mois sui­vant, soit je suis payé au black. » La pra­tique est cou­rante. « Moi, je ne suis pas payé de cette façon mais payé en nature, com­plète Fabien. Je peux res­ter man­ger tous les soirs avec la famille et s’ils partent en vacances, je pars avec eux. Je n’ai rien à dépen­ser et je conti­nue à être payé ». Mais en cas de désac­cord, il est dif­fi­cile pour un mini-jobber de prou­ver son temps de tra­vail effec­tif. L’homme à la longue barbe rousse pré­cise : « j’ai dans mon contrat offi­ciel­le­ment 10 heures par semaine. En réa­li­té, je fais au moins 20 heures par semaine, le temps d’aller cher­cher les enfants et le temps que les parents rentrent le soir. Mais je ne peux pas le prou­ver ».

Précarité VS Flexibilité

Le mini job est consi­dé­ré comme un job d’appoint par les auto­ri­tés alle­mandes. Ralf Kramer, membre du syn­di­cat des ser­vices Verdi, nous indique que le nombre de per­sonnes comme Marie-Elisabeth, cumu­lant un mini job avec un deuxième bou­lot; a aug­men­té depuis l’instauration de la mesure en 2003. A l’inverse, le nombre de tra­vailleurs vivant uni­que­ment avec un mini job, comme Fabien, a baissé.

Le mini-job crée de la pré­ca­ri­té pour le tra­vailleur. Patrick Schreiner, éga­le­ment syn­di­ca­liste chez Verdi,  déplore la « réduc­tion de la pro­tec­tion sociale » pour les mini-jobbers. Ils ne cotisent pas auto­ma­ti­que­ment à l’assurance san­té. « Les chô­meurs et les étu­diants sont les plus tou­chés alors que ce sont ceux qui en ont le plus besoin ». Fabien enrage « de ne pas pou­voir trou­ver d’appartement avec un mini job ». Il  n’y a pas de fiche de paie car ces petits bou­lots ne sont pas consi­dé­rés comme des vrais emplois.

 

Les moda­li­tés de paie­ment sont lais­sées au libre choix des par­ties. Un mini job a une date d’embauche mais aucune durée. « Si demain on te dit c’est fini, tu es obli­gé de te bou­ger pour rebon­dir », explique Fabien sans inquié­tude. « Mimi » en tire même un côté très posi­tif : « Tu prends ce qu’il y a à prendre mais si demain on te pro­pose mieux tu n’hésites pas à chan­ger C’est flexible pour les entre­prises mais c’est aus­si flexible pour nous. » Du haut de son mètre soixante, le sou­rire aux lèvres, « Mimi » voit tou­jours le bon côté des choses.

Autre dérive : la ten­dance à sous-payer les mini-jobbers est dénon­cée par les syn­di­cats. Elle est en théo­rie cor­ri­gée par l’introduction du salaire mini­mum en 2015. Fixé à 8€50 brut en 2015 il a été rééva­lué à 8€84 brut au 1er jan­vier 2017. Ces pra­tiques ont été cor­ri­gées mais n’ont pas tota­le­ment dis­pa­ru selon un rap­port de la fon­da­tion Boeckler (spé­cia­li­sée sur le monde du travail).

[info­gram id=“offres_demplois_de_mini_jobs_en_avril_2015_en_milliers” prefix=“6YT” format=“interactive” title=“Offres d’emplois de mini-jobs en avril 2015 (en milliers)”]

L’instauration du salaire mini­mum a quand même détruit envi­ron 200 000 postes de mini-jobs selon Werner Eichhorst, spé­cia­liste du monde du tra­vail à l’Institut Zukunft Arbeit. « Ils ont dis­pa­ru car ils sont main­te­nant moins attrac­tifs pour les entre­prises » analyse-t-il. « Une par­tie de ces emplois ont été trans­for­més en temps par­tiel car ils ont dépas­sés le pla­fond de 450€ par mois. Les autres ont été détruits. »

Travail sous payé ou réintégration au marché du travail ?

Pire que les mini-jobs, les réformes Hartz ont inven­té un nou­velle source de pré­ca­ri­té pour les chô­meurs alle­mands : le job à un euro de l’heure. En octobre 2016, ils étaient 90.000 à en dis­po­ser. Isa, édu­ca­trice de 43 ans en jar­din d’enfants (kita en alle­mand), l’a expé­ri­men­té en 2004, un an après sa créa­tion. Elle vivait depuis deux ans des aides sociales. « être obli­gé de faire ce job, c’était un peu comme une épée de Damoclès au- des­sus de la tête ».

Isa, 43 ans est mère de deux enfants. Elle est l’exception qui confirme la règle. Son euro job lui a per­mis de décro­cher un emploi stable d’éducatrice pour jeunes enfants.

Le job à un euro a pour but de réin­té­grer les chô­meurs de longue durée au mar­ché du tra­vail. Il est indem­ni­sé entre 1 et 2,50€ de l’heure pour 15 à 30 heures de tra­vail. Il s’applique sur une durée maxi­mum de 36 mois en 5 ans. Le job doit être exer­cé dans une asso­cia­tion ou dans le sec­teur public. Il doit avoir un carac­tère « acces­soire » pour ne pas concur­ren­cer les « vrais jobs ». « Si ton agent de job cen­ter  n’a pas rem­pli ses quo­tas, il risque de te for­cer à faire un job à un euro mais ce n’est pas sys­té­ma­tique » explique l’ancienne chô­meuse. En cas de refus, l’al­lo­ca­taire risque la dimi­nu­tion voire la sup­pres­sion de son Hartz IV, l’équivalent du RSA fran­çais. Mais le trai­te­ment est loin d’être le même pour tous. « J’ai une amie qui a fait une dépres­sion ner­veuse à cause de la pres­sion que lui met­tait le job cen­ter à la convo­quer toutes les deux semaines. A l’inverse, mon ex est artiste et il a tou­jours eut des agents qui lui ont fou­tu une paix royale car les gens du job cen­ter se disent que, pour les artistes, ce n’est pas la peine. »

Pas un emploi mais un dédommagement

Isa n’a pas subi, comme beau­coup d’autres sans emploi, un « euro job » sou­vent ingrat. « J’ai deman­dé à faire un euro job avant qu’on me l’impose pour pou­voir démar­cher moi-même l’association dans laquelle je vou­lais tra­vailler. Je ne vou­lais pas tom­ber sur un bou­lot que j’allais détes­ter. » Cette mère de famille vou­lait deve­nir édu­ca­trice en jar­din d’enfants mais elle n’avait pas la for­ma­tion adé­quate. Elle a donc pro­po­sé à une kita de faire des éco­no­mies en l’embauchant en job à un euro pen­dant 6 mois. En échange des éco­no­mies réa­li­sées, elle a deman­dé à ce que la kita lui pro­pose le pre­mier emploi de titu­laire qui se libère. Ce poste lui a per­mis de faire la for­ma­tion de trois ans qui lui man­quait pour deve­nir édu­ca­trice spé­cia­li­sée dans la jeu­nesse et obte­nir un poste stable de 30 heures par semaine. « Dans un euro job, je reçois mon Hartz IV et mon salaire de 150€ comme dédom­ma­ge­ment. Beaucoup de gens disent que les euro-jobs sont scan­da­leux alors qu’en comp­tant mon allo­ca­tion je tou­chais l’équivalent d’un petit SMIC. Que je sois édu­ca­trice ou en euro­job, je touche le même salaire ».

 

Isa a tou­jours vécu avec les aides sociales depuis qu’elle habite à Berlin. Elle est adepte des vides gre­niers et ne porte que des vête­ments de seconde main pour pou­voir bou­cler ses fins de mois. Pour les syn­di­cats, les mini-jobs ou les emplois à un euro main­tiennent les tra­vailleurs dans la pau­vre­té. « La tran­si­tion entre emploi pré­caire et emploi stable n’est que rare­ment démon­trée » selon Werner Eichhorst. Peter Schmidt, membre d’un syn­di­cat mino­ri­taire de l’hôtellerie et des com­merces, explique que dans les équipes de ménage des hôtels, la part de sala­riés est pas­sée de 80% à 15% en 15 ans. Ces postes ont été exter­na­li­sés en mini jobs à des entre­prises extérieures.

Source : Le Monde Diplomatique

L’expert de l’Institut Zukunft Arbeit va même plus loin en esti­mant que « les jobs à un euro sont le plus sou­vent  contre-productifs car ce sont des acti­vi­tés assez arti­fi­cielles comme les tra­vaux dans un parc ou dans une librai­rie publique pour faire sor­tir cer­tains chô­meurs des sta­tis­tiques ». Mais l’Allemagne est une socié­té de ser­vice. Et, ces acti­vi­tés arti­fi­cielles créent du contact et du lien social. Isa le décrit très bien : « L’important est de mon­trer que l’on est moti­vé pour retrou­ver du tra­vail et ne pas res­ter à la mai­son sans rien faire. En Allemagne, on gagne tou­jours un peu plus en travaillant. ».

Encadré par Cédric Rouquette, Lise Jolly et Hélène Kohl.