Par Alexandre Dalvai
Enquête de Alexandre Dalvai et Hugo Cailloux
A Berlin
Publié le 17 février 2017

Vu de l’extérieur, l’ac­cé­lé­ra­teur se fond dans la masse des bâti­ments de la Markgrafenstraße, à quelques rues de l’an­cien Mur de Berlin. Aucune marque ni logo ne sont affi­chés sur la devan­ture de l’im­meuble gris. Il faut s’ap­pro­cher de la porte pour en voir le nom: Axel Springer Plug and Play Accelerator. Au pre­mier étage, ni accueil ni secré­ta­riat pour entrer dans les bureaux.

Les portes sont grandes ouvertes. Une ving­taine de per­sonnes sont au tra­vail. Les che­mises trop ser­rées ou cos­tards cra­vates sont res­tées au pla­card. Certains affichent même un bel esprit cor­po­rate avec des pulls à capuche aux cou­leurs de l’ac­cé­lé­ra­teur. Il ne faut pour­tant pas se fier aux appa­rences. Ici, des start-up sont lan­cées, peut-être les pro­chaines mines d’or du géant de la presse alle­mand, Axel Springer.

Derrière son bureau, Constantin Von Bergmann Korn est au télé­phone. A 26 ans, il est le res­pon­sable mar­ke­ting des lieux. Chemise grise, lunettes rondes, coif­fure impec­cable, il affiche un look soi­gné mais sans extra­va­gance. Une fois son coup de fil ter­mi­né, il attrape une bou­teille de bois­son éner­gi­sante, s’assoit sur des palettes de bois où sont posés des cous­sins rouges et gris. Il sou­rit :“Excusez-moi, on tra­vaille beau­coup ici”.

Les locaux de l’ac­ce­le­ra­teur Axel Springer Plug and Play, situés au pre­mier étage, sur la Markgrafenstraße, à Berlin.

En ouvrant son accé­lé­ra­teur, Axel Springer , qui a construit son empire de presse sur des titres comme Bild ou Die Welt tente un incroyable pari sur le digi­tal, tota­le­ment assu­mé. Pour com­men­cer, il achète des groupes à des mil­liers de kilo­mètres du jour­na­lisme. En 2008, le groupe devient pro­prié­taire à 80% d’AuFeminin, édi­teur de conte­nus pour les femmes. En 2011, c’est au tour de SeLoger, site d’an­nonces immo­bi­lières, d’être récu­pé­ré par Axel Springer à presque 75%. Le groupe vend ensuite à FunkeMedigruppe en juillet 2013 ses titres locaux et régio­naux pour 920 mil­lions d’euros.

La diver­si­fi­ca­tion est radi­cale. Le mes­sage est clair : le busi­ness inté­gra­le­ment basé sur les jour­naux papier, c’est ter­mi­né. Axel Springer voit grand pour le digi­tal, et cherche les inno­va­tions chez les jeunes pousses. A Berlin, le géant s’est asso­cié pour son accé­lé­ra­teur à Plug and Play, tout droit venu de la Silicon Valley. Les deux en sont pro­prié­taires à 50%.

Le logo de l’accélérateur

A seule­ment 200 mètres du siège social d’Axel Springer, l’ac­cé­lé­ra­teur est une salle de classe géante. Une seule grande pièce avec de l’es­pace. Sur les murs, des tags en alle­mand et en anglais. On peut y lire “Fucked up any­way, fore­ver toge­ther”, tra­dui­sible en “C’est fou­tu de toute façon, ensemble pour tou­jours. Des des­sins com­plètent le décor : un cochon en cos­tume, des sexes en érec­tion, ou encore des per­son­nages gros­siè­re­ment des­si­nés. Ce sont de véri­tables fresques murales. L’encre a à peine eu le temps de sécher. Elle dégou­line. Le regard tombe sur des objets sans uti­li­té dans un bureau: un gong et des masques de licorne droits sor­tis d’Halloween. Le mes­sage qui émane des lieux est lim­pide. Créez, lais­sez votre ima­gi­na­tion faire. Chez Axel Springer, on ose. 

La pièce est lumi­neuse. Des néons blancs balancent une lumière éblouis­sante. Elle se réflé­chit sur des tables blanches, celles des entre­pre­neurs. Chacune est dotée sur le des­sus d’un petit écri­teau en plas­tique où des logos appa­raissent: Zeniad, Tippster, Vanolia, Coachfox, GoVolunteer, Moodpath et Ellis Car. Ce sont les noms des 7 start-up actuel­le­ment dans l’accélérateur.

Ces jeunes entre­prises sont membres du onzième pro­gramme de Axel Springer Plug and Play. Leurs fon­da­teurs y ont débu­té leur tra­vail le 1er jan­vier 2017. Ils suivent un entrai­ne­ment inten­sif de cent jours. Au pro­gramme: conseils de mar­ke­ting, de déve­lop­pe­ment, de com­mu­ni­ca­tion, coa­ching indi­vi­dua­li­sé. C’est le par­fait petit kit pour savoir se vendre.

Dans un pre­mier temps, les fon­da­teurs ren­contrent les “men­tors” par­te­naires du pro­gramme. On leur explique com­ment sus­ci­ter l’in­té­rêt des inves­tis­seurs. Du monde, ils en ont à convaincre. Axel Springer apporte à l’ac­cé­lé­ra­teur un réseau de 80 socié­tés comme SeLoger, AirBnB ou encore Zanox. Pour se don­ner les moyens de réus­sir, l’en­trée des start-up dans le pro­gramme s’est faite avec une enve­loppe de 25.000 euros. En contre­par­tie, l’ac­cé­lé­ra­teur en devient action­naire à hau­teur de 5%. Total des dota­tions depuis 2013: au moins 2.275.000 euros répar­ties dans les 91 jeunes entre­prises. Parmi elles, peut-être le pro­chain Mark Zuckerberg. Impossible de savoir com­bien de mil­lions d’eu­ros ont été inves­tis au total. Axel Springer Plug and Play n’en com­mu­nique pas les chiffres.

Chaque start-up dis­pose d’un bureau pour tra­vailler. Au fond, les res­pon­sables de l’ac­cé­lé­ra­teur sont à dis­po­si­tion des entrepreneurs.

Les murs s’ap­pa­rentent à de véri­tables fresques avec des ins­crip­tions en alle­mand et en anglais. / Alexandre Dalvai

Si on regarde de plus près, on peut y lire des post-it lais­sés par les entre­pre­neurs en témoi­gnage de ce que le pro­gramme leur a appor­té. / Alexandre Dalvai

Constantin Von Bergmann Korn, res­pon­sable mar­ke­ting de l’ac­cé­lé­ra­teur / Alexandre Dalvai

Toutes les start-up sont pas­sées par une sélec­tion. Les coudes s’y frottent. Selon Constantin Von Bergmann Korn, sur chaque période de can­di­da­ture “l’ac­cé­lé­ra­teur reçoit trois-cents demandes. On en reçoit une sur dix à Berlin, et à la fin, plus ou moins dix sont rete­nues”. Première étape, sou­mettre sa can­di­da­ture via un for­mu­laire dis­po­nible sur le site web de accé­lé­ra­teur. Deuxième étape : le pitch. Les meilleurs créa­teurs sont convo­qués dans les locaux pour pré­sen­ter leur start-up. Leur public : le per­son­nel de accé­lé­ra­teur et de poten­tiels investisseurs.

Une fois dans le pro­gramme, “C’est un peu comme une école” confie Constantin. “Il y a des modules d’exer­cices à vali­der”. Les entre­pre­neurs s’en­trainent une fois par semaine à pré­sen­ter leur idées aux membres de l’ac­cé­lé­ra­teur, ain­si qu’a des invi­tés. C’est le pitch trai­ning day. Les fon­da­teurs dis­posent de 5 minutes pour par­ler de leur start-up de façon dyna­mique. Cet entrai­ne­ment heb­do­ma­daire pré­pare le Demo Day. “C’est un peu le diplôme de fin d’é­tudes” affirme Constantin. Les entre­pre­neurs y pitchent leur pro­jet devant deux-cents inves­tis­seurs poten­tiels. Chacun repré­sente pour eux un espoir pour deve­nir le pro­chain géant d’internet.

Le but de l’ac­cé­lé­ra­teur est pour les entre­pre­neurs d’ap­prendre à par­ler devant une foule, à se vendre. / Hugo Cailloux

Il faut avoir un bon carnet d’adresses, et savoir qui contacter”

Le pro­gramme de l’ac­cé­lé­ra­teur apprend aux jeunes créa­teurs à se faire connaitre, avec son réseau. Pascal Stulier, 24 ans, est co-fondateur de Tippster. Cette appli­ca­tion inter­ac­tive pour la TV per­met d’é­va­luer les pres­ta­tions des per­sonnes que l’on voit à l’é­cran. Il compte bien pro­fi­ter du géant de la presse. “En tant qu’al­le­mands, on connait tous Axel Springer” confie Pascal qui tra­vaille dur.” En géné­ral, on arrive à 9 heures le matin et on ter­mine entre 18 et 21 heures, sui­vant ce qu’on doit faire”.

Le pro­gramme de l’ac­cé­lé­ra­teur est pre­nant, mais le jeune entre­pre­neur tente quand même de gar­der du temps pour lui. “Il y’a tou­jours du temps pour sor­tir avec des amis et faire ce que l’on aime ! Pour pro­gres­ser, il faut avoir de la créa­ti­vi­té et de l’éner­gie, et ce n’est pas en tra­vaillant 14 heures par jour qu’on y arrive” confie Pascal. Avec l’en­ve­loppe de 25.000 euros four­nie par l’ac­cé­lé­ra­teur, se dépla­cer jus­qu’à Berlin n’a pas été un pro­blème pour lui. “Le pro­gramme nous demande de vivre ici pen­dant cent jours, et avec ce que nous donne l’ac­cé­lé­ra­teur, toutes nos dépenses sont cou­vertes, du loge­ment au coût du tra­vail, au moins pen­dant cette période” ajoute-t-il.

Pascal Stullier et Philipp Csernalabics co-fondateurs de Tippster / Alexandre Dalvai

Christian Katterloher, déve­lop­peur, et Sebastien Vogt, rédac­teur et res­pon­sable réseaux sociaux chez Tippster. / Alexandre Dalvai

Un accélérateur de start-up international

Dans les bureaux, les échanges se font essen­tiel­le­ment en anglais. Seule la moi­tié des entre­prises sont alle­mandes. L’autre vient de par­tout en Europe. C’est le cas de Zeniad. Cette start-up ori­gi­naire de Londres a pour but d’in­tro­duire la réa­li­té vir­tuelle dans la publi­ci­té. Paul Maidment en est le res­pon­sable tech­nique. Il a été séduit par Berlin, qui fait les yeux doux aux start-up du monde entier. Aucune hési­ta­tion dans sa voix. “Toute l’é­quipe s’est dit qu’il fal­lait qu’on vienne ici” confie Paul. Il nous faut cher­cher de nou­veaux inves­tis­seurs. Mais c’est un tra­vail per­ma­nent” ajoute l’homme aux che­veux légè­re­ment gri­son­nants. Il enfile aus­si­tôt son casque audio pour se remettre au travail.

L’équipe de Zeniad est com­po­sée de 3 co-fondateurs : Piero Buttazo (CEO), Paul Maidment, (res­pon­sable tech­nique), et Ryan Hendry, Responsable des opé­ra­tions (au pre­mier plan) / Alexandre Dalvai

Ryan Hendry, res­pon­sable des opé­ra­tions de Zeniad / Alexandre Dalvai

On est dans les bases de données d’investisseurs potentiels”

Pour cer­tains, les cent jours pas­sé dans l’ac­cé­lé­ra­teur sont der­rière. C’est le cas de Wingly, membre du dixième pro­gramme. Lancée en 2013, cette entre­prise fran­çaise est spé­cia­li­sée dans le co-avionnage, ou le par­tage d’un tra­jet aérien pri­vé. Le pas­sage dans le pro­gramme a fait décol­ler l’ac­ti­vi­té de la socié­té en Allemagne. “Les cent jours pas­sés à Berlin ont vrai­ment don­né un coup de pouce à notre acti­vi­té” confie Bertrand Joan-Cornu, 24 ans, co-fondateur du ser­vice. Au moment d’en­trer dans l’ac­cé­lé­ra­teur, on était à deux-cent cin­quante vols en per­ma­nence pro­po­sé sur notre site en Allemagne. Désormais, on tourne à quatre mille”.

La Direction géné­rale de l’Aviation civile fran­çaise a pré­ci­pi­té cet exil. Celle-ci a mis en doute la sécu­ri­té des pas­sa­gers par rap­port aux trans­por­teurs clas­siques. Wingly a mis le cap vers Springer. “Lars Klein, un de nos co-fondateurs est alle­mand, et connais­sait la répu­ta­tion du groupe. On est désor­mais dans les bases de don­nées d’in­ves­tis­seurs poten­tiels en Allemagne”.

L’équipe de Wingly dans l’ac­cé­lé­ra­teur, en 2016 / Wingly

Chaque année, l’ac­cé­lé­ra­teur attire les demandes de près de mille start-up. Les can­di­dats sont nom­breux, mais il n’est pas pré­vu que le pro­gramme gros­sisse. Constantin Von Bergmann Korn confie : “On est limi­té en per­son­nel et en place. On va donc gar­der ce rythme. Le plus inté­res­sant, c’est de pou­voir accom­pa­gner chaque start-up, pas de faire du chiffre”. Au plus fort de la fré­quen­ta­tion, douze start-up ont été sui­vies, lors du cin­quième pro­gramme de l’ac­cé­lé­ra­teur Axel Springer Plug and Play.

Travail enca­dré par Cedric Rouquette, Lise Jolly, Hélene Kohl et David Philippot