Par Nicolas Berrod
Publié le 16 février 2017
Une image de rassemblement. Marine le Pen et Frauke Petry, les dirigeantes du Front National et du parti allemand l’AfD, affichaient leur plus beau sourire le 21 janvier 2017 lors d’une conférence de presse commune. Ce jour là, dans la ville ouest-allemande de Coblence, les eurodéputés du FN se sont réunis avec leurs alliés du groupe parlementaire européen « Europe des Nations et des libertés » (ENL), dont fait aussi partie l’AfD. Ils souhaitaient ainsi prouver qu’ils étaient loin d’être isolés sur la scène européenne. Cette image a été mal perçue par une frange de l’AfD. Plusieurs cadres s’étaient désolidarisés la veille de cette réunion. Alexander Gauland, une des grandes figures du parti, avait par exemple estimé que le FN était un parti « socialiste ». Il avait ajouté avoir « des réticences à [se] rendre à Coblence ».
Le programme économique du FN effraie l’AfD
« Nous ne sommes pas un parti socialiste mais protectionniste et patriote », réplique Bernard Monot. L’un des concepteurs du programme économique du FN depuis 2008, joint au téléphone, reconnaît que « même si l’AfD est notre partenaire politique, chacun a ses spécificités et on n’est pas forcément d’accord sur tous les domaines ». Il existe certes d’importantes convergences de point de vue sur des sujets comme l’immigration, qu’il faut à leurs yeux tarir, ou sur la sortie de l’euro. Mais les deux partis alliés divergent en particulier sur le plan économique.
Le FN propose par exemple de baisser à 24% l’impôt sur les sociétés. L’AfD veut aller plus loin et le supprimer. « C’est un parti allemand et la balance commerciale de l’Allemagne est excédentaire, justifie Bernard Monot. Dans leur situation ils peuvent se le permettre ! ». Selon lui, « la différence de l’état des finances publiques entre la France et l’Allemagne » explique ces divergences programmatiques. Le déficit public de la France atteint les 70 milliards d’euros en 2016. L’Allemagne affiche un excédent de plus de 10 milliards d’euros. « Il y a des différences dans les programmes du FN et de l’AfD mais ils les assument », explique Olivier Faye, journaliste qui a couvert le rassemblement à Coblence en sa qualité de spécialiste de l’extrême-droite au journal le Monde. Avant, le FN faisait peur à ses alliés à cause de son côté sulfureux et des relents antisémites. Aujourd’hui c’est son programme économique, basé autour d’un ‘Etat stratège’, qui effraie.
« Ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise »
Hausse du pouvoir d’achat pour les bas salaires, retour de l’âge de la retraite à 60 ans, revalorisation de plusieurs allocations… De nombreuses mesures sociales figurent dans les propositions économiques du Front National, en grande partie dévoilées lors du meeting du parti à Lyon les 4 et 5 février dernier. Les militants qui œuvrent pour la campagne présidentielle de Marine le Pen en font un argument de campagne. Ce lundi matin, sur un marché parisien du XIème arrondissement, Guillaume distribue des tracts « Chômage et précarité, on peut faire autrement ! ». « Sarkozy et Hollande ont appauvri toute la population, les travailleurs mais aussi les retraités, explique le chef d’entreprise de 35 ans. Nous voulons au contraire redonner du pouvoir d’achat à tous, en particulier aux moins aisés. » L’alliance avec un parti libéral comme l’AfD ne pose pas de problèmes à ce jeune Parisien, « désespéré par la classe politique actuelle », car « ce qui nous rassemble, comme la lutte contre l’immigration, est plus fort que ce qui nous divise ».
Certains passants semblent tentés par le vote FN. D’autres l’assument publiquement, à l’image de Jacques. Ce retraité de 71 ans explique qu’il votera pour Marine le Pen car il a « de plus en plus de mal à finir le mois financièrement ». Pour lui qui n’a jamais entendu parler de l’AfD, la candidate du FN est « la seule qui promet de baisser les impôts et à qui on n’a pas encore donné sa chance. »
« Nous avons fait le bon diagnostic en 2008 en prévoyant la crise, se vante Bernard Monot. Le programme de Jean-Marie le Pen était libéral. Depuis 2008, nous avons dû tout remettre à plat et inventer le protectionnisme économique ». Le père de Marine le Pen disait, dans les années 80, vouloir lutter contre ‘l’Etat Moloch’. Soit un Etat qu’il qualifiait de « monstrueux, tyrannique et impuissant » dans son livre Pour la France (éditions Albatros, 1985). Le 19 novembre 2011 à Paris, à l’inverse, Marine le Pen a tenu pendant la campagne présidentielle un grand discours pour dire que l’Etat était la solution à presque tous les problèmes économiques. Cela a fait tiquer plusieurs dirigeants de l’AfD. Le parti allemand est sur une ligne franchement libérale et défend par exemple la fin de tout impôt sur la fortune ou sur la succession.
Pour l’AfD, l’islam est incompatible avec une société européenne
Un autre point de divergence entre le Front National et l’AfD est la place que l’islam peut occuper dans une société européenne. Les musulmans peuvent-ils cohabiter avec le reste de la population dans un pays occidental ? Le 11 septembre dernier, sur le plateau de TF1, Marine le Pen répondait oui à cette question, à condition que l’islam soit « laïcisé comme les autres religions ». Elle ajoutait vouloir lutter contre « le fondamentalisme islamique ». A l’inverse, l’AfD considère que l’Islam n’a pas sa place en Allemagne.
Cette divergence peut s’expliquer par le poids électoral de chacun des deux partis. « Marine le Pen vise aujourd’hui la victoire au second tour d’une élection présidentielle, explique Olivier Faye, elle ne peut pas se permettre de considérer que les millions de musulmans en France sont en dehors de la République. L’AfD est encore en position d’outsider, ce qui leur permet d’avoir des positions plus radicales ». Le parti populiste, crédité d’environ 10% dans les sondages pour les prochaines élections fédérales qui auront lieu en septembre prochain, espère avant tout faire une entrée la plus massive possible au Bundestag, le Parlement allemand.
Le FN en quête de normalisation
Cependant, la ligne tenue au sommet du FN par Marine le Pen est loin de faire l’unanimité au sein des cadres du parti, à en croire Olivier Faye. « Elle est la seule à affirmer de manière claire que l’islam est compatible avec la République pour rassurer des électeurs indécis ou de gauche, mais à la base du parti et chez beaucoup de cadres, le discours n’est pas le même afin de continuer à séduire un électorat radicalisé sur ce sujet ».
Sur l’immigration plus globalement, le FN et l’AfD sont en revanche sur la même ligne. « Ces partis nationaux-populistes européens, qui ont des intérêts économiques différents, se retrouvent sur l’essentiel : la lutte contre l’immigration et le combat identitaire », explique l’historien et membre de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP) Nicolas Lebourg. L’eurodéputé du FN Bruno Gollnisch confirme que « l’AfD est, comme nous, hostile à l’immigration massive ».
Dans une analyse de la fondation Jean-Jaurès publiée en octobre dernier, Nicolas Lebourg note que le Front National sert de « boussole » à ses partis alliés européens d’extrême droite. Tandis que certains lui « empruntent sa dynamique de notabilisation », les plus extrêmes comme l’AfD « se radicalisent selon son modèle ». Cette radicalisation, le Front National, en quête de « normalisation », tente aujourd’hui de s’en départir. C’est là que se situe actuellement la différence majeure entre ces deux partis. Les sondages placent le FN en tête du premier tour de la prochaine élection présidentielle. L’AfD n’a que quatre ans d’existence et doit avant tout devenir une force politique disposant d’un maximum d’élus.
Travail encadré par Cédric Rouquette