Par Maryne Zammit
Enquête de Maryne Zammit et Lydia Quérin
A Berlin
Publié le 16 février 2017
Le compte à rebours a commencé pour Angela Merkel. L’élection législative du 24 septembre décidera si la candidate à sa propre réélection sera reconduite, pour la quatrième fois consécutive, à la tête de la Chancellerie. Après un mandat marqué par l’attentat de Berlin (douze morts le 19 décembre 2016) et l’accueil contesté d’un million de réfugiés en Allemagne, la chancelière a choisi de faire essentiellement campagne sur la sécurité et la maîtrise du budget national.
Or, un autre compte à rebours, bien plus destructeur, s’est déclenché: celui des retraites. Angela Merkel, tout comme son principal concurrent socialiste Martin Schulz, est assez floue sur ce dossier. Les retraites seront élevées « si on a des salaires élevés », a lancé l’ancien eurodéputé lors d’un congrès du SPD, début février. « Les salaires montent, tout comme les retraites, a même estimé Angela Merkel fin novembre lors du débat budgétaire. Il faut le dire, la situation des Allemands n’a jamais été aussi bonne qu’aujourd’hui.» Pourtant, la situation des retraités se dégrade bel et bien de plus en plus. Et, sans réforme de fond, c’est une bombe à retardement qui attend le futur gouvernant.
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Le retraité allemand vit sous le seuil de pauvreté
C’est un constat qui peut étonner dans l’Hexagone: le retraité allemand est moins bien loti que le retraité français. En moyenne, l’ancien actif allemand touche 880 euros de pension de base par mois. Un chiffre bien en-dessous du seuil de pauvreté, fixé à 950 euros en Allemagne. A titre de comparaison, en France, un retraité reçoit 1216 euros de pension moyenne.
Pour s’en sortir, mieux vaut avoir une autre source de revenus. Certains seniors bénéficient de retraites complémentaires afin de compléter leur pension de base. Lorsqu’ils sont actifs, les Allemands peuvent souscrire à un plan d’épargne retraite subventionné par l’Etat, le fameux Riester. Près de 16 millions d’actifs y ont eu recours, comme Jürgen, un Berlinois de 69 ans.
S’il refuse de révéler le montant de sa pension, cet ingénieur électrique à la retraite depuis deux ans dit « vivre confortablement » grâce à elle et au capital accumulé en parallèle de sa vie professionnelle. « J’ai pu voyager à Cuba il y a deux ans avec ma petite amie », se souvient-il. Le Riester fait des heureux : « Nous avons l’intention d’aller en Turquie l’an prochain ».
Encore faut-il avoir les moyens de mettre de côté. Ceux qui n’ont pas pu le faire se retrouvent souvent en situation de précarité. Sur 20 millions de retraités, 3,4 millions vivent en-dessous du seuil de pauvreté selon une estimation du quotidien La Croix, qui sourçait en mai 2016 des associations d’aide aux démunis.
Beaucoup de retraités se tournent vers Internet pour trouver des petits boulots, les minijobs comme on les appelle outre-Rhin. Le site “Rent a Rentner” s’en est fait une spécialité. Il propose à des particuliers de « louer un retraité » pour des tâches de baby-sitting, de dog-sitting ou de jardinage contre rémunération. Une situation loin d’être anecdotique: les experts de l’Institut fédéral de la statistique allemande, DeStatis, estiment que plus du tiers des plus de 65 ans sont contraints de travailler en plus de leur retraite pour pouvoir vivre.
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Un Allemand part à la retraite avec moins de la moitié de son salaire
En France, un employé peut partir à la retraite à taux plein en gagnant 70% de son meilleur salaire. En Allemagne, c’est 48% du salaire net moyen sur l’ensemble de sa carrière. Concrètement, cela signifie qu’un Allemand qui a travaillé toute sa vie et a gagné 2000 euros par mois, se retrouve avec 960 euros de pension de base une fois inactif. Guère plus que le seuil de pauvreté.
Pour la petite histoire, tout s’est dégradé au moment des réformes Schröder du début des années 2000. Baisse des taux de cotisation, allongement progressif de la durée du travail de 63 à 67 ans… Le chancelier socialiste avait pour ambition de sauver le système des retraites par répartition, menacé par le vieillissement de la population. Sa réforme des retraites a finalement accru les inégalités entre les personnes âgées.
Markus Grabka, analyste à l’Institut allemand de recherche en économie, est l’auteur d’un rapport sur la pauvreté : « Ce qu’on remarque, observe-t-il, c’est que les personnes âgées ont plus de risque de tomber dans la pauvreté que les autres. Sur la période 2002–2014, leur part a doublé, et cette progression n’est pas près de s’arrêter ».
Le système mis en place en 2005 handicape d’autant plus ceux qui ont eu une vie professionnelle moins linéaire, en particulier à l’Est. « Ces dernières années, poursuit-il, les personnes qui atteignent l’âge de la retraite reçoivent des pensions plus faibles, bien souvent parce qu’elles ont connu de longues périodes de chômage après la chute du mur de Berlin. Et, en Allemagne de l’Est, les épargne-retraites d’entreprise ou individuelle sont l’exception, et non la règle. »
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Le retraité allemand de demain sera encore plus pauvre
Depuis les réformes Schröder, il y a bien eu quelques mesures en faveur des retraités. En juillet 2016, ils ont vu leur pension augmenter de 5%. Mais ce coup de pouce ne changera pas la vie des seniors allemands. « Les dirigeants ont tellement réduit le montant des retraites, affirme Johan Classen, professeur de politique sociale à l’Université d’Edimbourg, qu’il sera difficile pour de nombreuses personnes, à l’avenir, de sortir de la pauvreté ».
Aujourd’hui, un Allemand sur quatre a plus de 60 ans. En 2050, ce sera une personne sur trois. Soit 28 millions d’individus. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, la part des plus de 80 ans va doubler, pour s’établir à 10 millions d’achtziger.
Dans le même temps, « les jeunes générations seront considérablement plus petites en nombre », prévoit DeStatis. Le taux de natalité, déjà faible avec 1,5 enfant par femme, va se maintenir. Or, il faut un taux de 2,1 enfants par femme pour renouveler les générations. Avec le système de retraite actuel, « le ratio entre ceux qui percevront une pension de retraite et ceux qui pourront la financer va irrévocablement se détériorer », alerte l’Institut.
Moins d’enfants, moins d’actifs. En 2030, l’Allemagne comptera 4 millions de travailleurs en moins par rapport à aujourd’hui. Seulement, faire appel à une main d’œuvre étrangère ne suffira pas, d’après DeStatis, car l’Allemagne est aussi touchée par la fuite des talents. Entre ceux qui arrivent (immigration) et ceux qui partent (émigration), le ratio va se dégrader continuellement à l’horizon 2020. Résultat : un retraité sur deux pourrait, d’ici quinze ans, percevoir une pension équivalente au minimum vieillesse, soit 688 euros par mois. Les retraités allemands partiront alors à la retraite à taux plein avec 43 % de leur salaire, contre 48% à l’heure actuelle.
Cette bombe à retardement pourrait exploser plus vite que prévu, quand la génération du baby-boom des années 1960 prendra sa retraite en 2020. A moins que la venue de plus d’un millions de réfugiés depuis 2015 ne change la donne, s’ils accèdent à l’emploi …
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Les retraités allemands attendent un signal de leurs politiques
Inquiets, les retraités allemands ont les yeux rivés sur la politique menée par la Banque centrale européenne (BCE). Avec les taux faibles pratiqués par son président italien Mario Draghi, les comptes épargne-retraite allemands rapportent moins que les commissions prélevées par les banques et les assurances. Autrement dit : le volet “capitalisation” du système des retraites est menacé.
Jens Weidmann, président de la Banque centrale allemande, et défenseur des retraités de son pays, entend remonter à tout prix les taux directeurs, et tient un discours dur sur la maîtrise des budgets nationaux dans l’Union européenne (UE): « Il serait temps que la BCE envisage d’arrêter sa politique d’arrosage des crédits, a‑t-il déclaré. Les pompiers de la crise doivent faire attention à ce que les dégâts provoqués par l’eau ne soient pas supérieurs à ceux provoqués par les flammes. » Comprendre : cette politique n’incite plus les actifs à épargner et encourage l’inflation. Les Allemands doivent absolument éviter cela, s’ils veulent sauver leurs retraites.
Pourtant, sur la scène politique nationale, pas de réforme profonde annoncée. A la place: des mesurettes, qui portent l’espoir de palier le fort déséquilibre entre actifs et retraités. La Bundesbank et Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral (CDU) des Finances, suggèrent de relever l’âge de la retraite à 69 ou 70 ans. L’« idée est stupide » pour Sigmar Gabriel, le ministre (SPD) des Affaires étrangères, et impensable pour Die Linke. Le parti d’extrême-gauche souhaite au contraire l’abaisser à 65 ans, mais en la finançant grâce à une sorte d’impôt sur la fortune. Si les conditions de mise en place de ce projet restent vagues, il a au moins le mérite d’exister dans le désert des propositions politiques liées aux retraites.